Le Son de Soie

Bien avant de provoquer la guerre commerciale que l’on sait, le textile chinois était déjà un domaine ultrasensible. Dans l’Antiquité, la soie chinoise suscitait une telle convoitise chez les Romaines que le Sénat dut en interdire l’importation. Son acheminement était si long, les intermédiaires si nombreux, qu’elle risquait de vider les caisses de l’Etat en raison de son prix. De cet engouement réprimé naîtra un axe aujourd’hui légendaire : la Route de la soie. Sa fréquentation eut de multiples répercussions, politiques, culinaires, artistiques. Ainsi le “pipa”, dont joue avec une grâce irréelle la jeune virtuose chinoise Liu Fang, est-il une adaptation du luth perse “barbât” également présent au Vietnam (“dan ty ba”) ou au Japon (“biwa”). A l’origine, ses cordes étaient en fil de soie. Bien que modernisé l’instrument conserve sous les doigts de la musicienne une sonorité propre à traduire l’essence poétique de partitions dont l’énoncé suffit ici à suggérer l’infinie délicatesse : Promenade au pays des rêves, Brise dans une pluie de coton… De l’autre instrument traditionnel joué par Liu Fang sur ce disque, la cithare “guzheng”, émane le même trouble impalpable, la même subtilité d’évocation. Le charme opère d’autant mieux que Liu Fang fraternise sur une moitié d’album avec des musiciens venus d’horizons différents : le joueur de kora malien Ballaké Sissoko, le flûtiste français maître du “bansuri” indien Henri Tournier, le oudiste algérien Alla. Chaque rencontre produit un vertige esthétique comparable à ce qu’expriment les peintures bouddhistes. Toutes nous projettent au-delà des sentiments, de la colère, de la joie ou de la douleur, et nous rapprochent d’une source de sérénité universelle.

Francis Dordor
21 mai 2006

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